• Petite Nouvelle: "Fragments de vie"

    C’est une histoire qui n’en n’est pas.

    Des fragments, des petits bouts de soi : parfois l’histoire se tisse dans ses instants de vie…

    Il y a dans nos paradoxes, nos plus belles énergies

     

    Quelque fois les liens se tissent bien avant la rencontre

     

    Elle a dix ans. Ses grands yeux ne parviennent toujours pas à se fermer. Elle essaie encore et encore. Mais comme de plus en plus de soirs, rien n’y fait. Alors elle essaie de plus en plus fort.

    Le silence de la nuit, c’est comme le vide et elle ne supporte pas ça le vide. Alors, elle fait tout un tas de listes, de choses à faire, à rêver, à inventer. Ce bruit à l’intérieur, ça la rassure et ça l’épuise. Mais, c’est toujours mieux que le vide. Des fois elle écoute de la musique en cachette, dans son baladeur, toujours la même, elle l’a eu pour Noel et ne s’en sépare plus. Son chanteur préféré, jean jacques Goldman :  elle l’écoute, en boucle : elle a dix ans, mais déjà tous ses mots donnent du sens à ses maux, elle le ressent fort, ce besoin d’exprimer. Elle ne le dit à personne. Et personne ne lui demande. Ça va la poursuivre, ce besoin de musique pour fuir le vide de la nuit et l’angoisse de ses journées. Mais pour le moment, elle lutte pour dormir, alors elle s’invente un tas d’histoires, en attendant la lumière du matin. Elle a dix ans, et déjà être là n’est pas si simple mais ça non plus, elle le dit à personne, elle préfère combler tous les espaces pour fuir le vertige.

    Il doit être Fin aout et des poussières, une période qu’elle aime bien : ce quelque chose entre la mélancolie de fin d’été et la grande aventure de la rentrée, un entre deux triste et réjouissant, un fragile équilibre. Elle a dix ans Romane, et elle est une petite funambule : dans sa tête c’est un peu comme un cirque : magique et coloré alors elle y passe des heures: des fois, elle sort, elle apprend, elle lit, elle écoute et observe les adultes. Mais c’est épuisant de tout ressentir alors elle remet son casque. Un anti éraflure pour un cœur bien trop fragile, un premier bouclier, le début d’une bien trop grosse armure.

    Romane adore la rentrée, elle la ritualise : faire des listes, tailler les crayons, mettre des étiquettes ; elles ont une odeur ces fournitures, celle de la découverte, des cahiers à remplir, de l’encre qui glisse. Et pour compter les jours avant la rentrée, elle fait de longues promenades en famille, on ramasse les mûres, et ça c’est typique de ce quelque part : les tâches rouges sur les doigts, les petites éraflures et les sauts remplis qui laissent entrevoir tout un tas de jolies pots de confitures pour des gouters gourmands.

    A dix ans, Romane, elle se prépare avec envie. Elle écrit quand les autres jouent, elle imagine quand les autres font. Elle a passé une grande partie de son été chez sa grand-mère : la moitié pour être exacte : c’est triste et heureux en même temps parce que ce temps-là ça lui rappelle le manque de celui qui ne sait pas être là et le bonheur de se remplir de ce trop-plein d’amour : Romane vit au rythme des routines de sa grand-mère et quand d’autres trouveraient cela terriblement ennuyant, elle aime bien ça. Du haut de ses dix ans et quelques centimètres, elle aime quand le temps est organisé par un tas de petites habitudes : entre la promenade matinale au marché, les visites chez les mamies du quartier : leurs potins, les pincements des joues et leur grande solitude, les après-midis perchés sur le petit balcon à observer la vie : Pour Romane, c’est un peu comme un tableau vivant. Elle aime les odeurs de fritures, de plats qui mijotent, entendre le ballon et les cris des enfants, les conversations des dames assissent sur le trottoir. C’est comme cela qu’elle aime être là. C’est un peu étrange, elle ne le sait pas encore, elle n’en souffre pas encore. Elle passe comme ça, tout un mois rassurant, elle trouve des espaces de bonheur dans ses petites habitudes du quotidien.

    Romane remonte la couverture jusque son cou : elle va adorer cette dernière année de primaire : elle va lire encore, écrire plein d’histoires, dessiner des monstres imaginaires, souligner les compléments circonstanciels, soigner ses cahiers. Elle a dix ans, et dans cet entre-deux qu’elle s’est construit, elle peut respirer.

    Du haut de ses dix ans, il doit fournir un tas d’effort pour monter la seule bouteille de gaz de la maison, un étage au-dessus : il faut dire qu’il le désire ce bain : la promesse d’un moment rien que pour lui. Alors, il gravit l’escalier sans faillir, chaque marche est une petite victoire et la promesse d’un moment tant attendu. Il a dix ans et il est le dernier d’une fratrie de 7 garçons : il est incapable de dire si c’est génial ou pas, ce qu’il sait par contre : ces moments de ‘juste pour soi’ sont rares et se savourent. Et en cette fin d’après-midi, dans une petite ville du Sud de la France : un jeune garçon encore haut comme trois pommes regorge d’efforts pour s’offrir le meilleur bain moussant de sa vie dans le calme si rare d’une maison à la fois trop étroite et pourtant si chaleureuse. Une maison où s’accumulent tout un tas de souvenirs, ceux d’une histoire parfois douloureuse, se mêlant aux trouvailles de grands frères débrouillards soucieux d’améliorer le quotidien d’une maman épuisée mais animée par la volonté de rendre chaque moment unique : avec pour devise faire du mieux avec presque rien. Alors a dix ans, Selim ne doute de rien et sait faire preuve d’une étonnante capacité d’adaptation et d’une détermination sans faille, il avance avec les clés qu’on lui donne et il le sait, il en trouvera un tas d’autres.et ça lui réussit plutôt bien. Faut dire qu’il a une bonne bouille, et son regard perçant laisse présager de belles réussites.

    Demain, c’est la rentrée : c’est comme cela, il aurait préféré continuer à explorer les recoins de sa rue avec sa bande de copains et s’égratigner les genoux en faisant du skate. Ce n’est pas qu’il n’aime pas l’école, il pourrait avoir de bonnes notes mais il préfère profiter de chaque instant. Et puis avec Septembre le rugby reprend et c’est presque toute sa vie. Sur le terrain, il se sent libre: à l’entrainement, c’est toi et ton courage. On s’en fout que tu sois pauvre, tu joues, tu partages et puis c’est tout.

    ***

                   Un matin d’automne, 7 h et déjà des tonnes de gamberges. Elle aime toujours ça marcher. Elle respire sur chacun de ses pas, ses docs s’enfoncent dans le gravier. Son sac à dos toujours un peu trop lourd pour son poids de petit moineau. Un pantalon treillis orange, un t shirt noir délavé. En ce moment ses cheveux sont bruns, elle en change souvent de couleur : le début de sa quête ou peut être bien les stigmates de moqueries incessantes au collège, Romane est née avec des cheveux blancs, une couleur cendrée, adorée par sa mère mais qui a fait d’elle une proie facile durant les interminables quatre années de collèges qui lui ont laissé comme une vilaine cicatrice quelque part à l’intérieur d’elle : elle saigne au goutte à goutte depuis. Alors Romane est épuisée et elle essaie un peu plus chaque jour de recoudre cette blessure. Elle essaie tellement fort.

    Ce matin, le réveil est plus léger. Elle porte sa pochette de dessin comme un bouclier. Une matinée pour penser, créer, innover, à son rythme. Romane a 15 ans et elle revit un peu, en tout cas elle souffre moins. Elle est encore épuisée des dernières années de luttes, puis de repli. Elle a trouvé ses armes, certaines malgré elle : Romane est en colère, trop souvent ; elle aime sa solitude et ne mange plus assez. Ça, c’est venu progressivement, quand elle ne mange pas, elle a l’impression qu’elle arrive à maitriser ses émotions bien trop intenses pour un corps si fragile. Elle a 15 ans et elle n’est plus une funambule, elle a perdu l’équilibre. Elle a chuté et quelque chose a dû se fracturer car depuis, elle n’est plus une bonne élève : dans sa tête c’est le chaos, impossible d’étudier. Au moins au sol, elle arrive à avancer. Elle s’éteint un peu chaque jour. Mais de cela, elle ne se rend pas compte. Et puis, elle a trouvé une clé, celle de pouvoir s’exprimer : une salle de classe où se poussent les portes du temps: alors Romane passe son temps, son baladeur sur les oreilles, à observer à gratter, découper coller, coloré…et alors elle arrive à être bien, les odeurs de craie grasse, du white et l’acrylique et avoir les doigts colorés.

    Cet été, le tant attendu est arrivé, il a enfin grandi, le voilà rassuré. On le lui répète depuis des années : « ça va arriver, d’un coup, tu verras ! » et ce d’un coup est arrivé. Il est tellement fier ! Il est beau garçon, ses yeux font toujours leur effet. Ce qui est encore plus beau, c’est qu’il ne voit pas l’impact de ce regard si vif. Lui ce qu’il veut toujours encore et encore, c’est jouer au rugby. Et il est doué. Sur le terrain, il peut déployer cette volonté de pousser les murs des espaces biens trop étroits de la vie : chaque soir, même rituel, il balance son sac, attrape ses affaires de sport et continue de vivre sa belle aventure. Ça ressemble au bonheur : il ne le cherche pas, il a 15 ans et il le vit intensément. Cette volonté du faire, il l’a trouvé tout petit, surement dans le courage quotidien de sa mère, peut-être dans l’affection maladroite de six grands frères, au bien aux côtés d’un père désabusé dont le regard a toujours comblé l’incapacité des mots. Il a 15 ans, et croque chaque journée comme un bonbon acidulé. Plus tard, il jouera au rugby. Et Il rêve de ça chaque soir.

                                                                                             ***

    Romane attrape les restes de son frigo. Cette année est intense. Elle a choisi, un choix raisonnable : Elle termine sa dernière année pour devenir travailleur social et elle n’a pas vraiment le temps pour ses gamberges. Ça l’arrange, elle arrive à mettre un peu d‘ordres dans son esprit. Elle attrape ses cours, se pose en tailleur, la radio en fond sonore. Et dans ce tout petit espace qu’est son appartement, un peu trop sombre, un peu trop vieux, elle s’apprête à passer une bonne partie de la soirée à bosser. Est-ce qu’elle aime ça ? Elle a un objectif, c’est un peu ça la vie. Elle a cherché, après son bac obtenu laborieusement : la fac, des petits boulots. Elle a gardé silencieux son rêve d’une vie bohème. Et quand elle a réussi le concours d’entrée, Romane y est allée. IL fallait bien prendre un chemin. Elle a troqué ses docs un peu trop lourdes par des converses conforts. Elle regarde autour d’elle, elle a trouvé le moyen de mettre du désordre avec si peu de choses. Ses yeux se posent sur une vieille valise : à l’intérieur c’est son trésor : de l’acrylique, des craies et tout un tas de choses amassée. Elle ne l’ouvre plus. Un jour, plus tard. Pour le moment, Romane se répare, sans vraiment s’en rendre compte. Elle reprend son stylo plume, ses doigts sont tachées d’encre. Elle sourit.

    Nous sommes un jour brutal de mai : Il fait beau. Selim a choisi fac de sport. Des rêves pleins la tête. Il serre fort son vieux sac, son dossier est complet. ll traverse, et puis cette voiture, qui double sur une ligne blanche. Il y a du vide, une respiration coupée, un corps qui se brise…IL y a des jours séismes, de ceux qui vous brisent un rêve et un jeune homme.

    Selim se prépare son assiette du soir : nouille au fromage, comme chaque soir depuis plusieurs semaines. Ce n’est pas grave, il aime ça. Dans son appart étudiant, il y a peu de choses mais il ne manque de rien : les journées se ressemblent beaucoup, mais dans ce quotidien assez rythmé, il trouve du repos. Selim se pose sur son canapé-lit-bureau.Il faudrait qu’il bosse un peu. Mais il chope la télé commande. Il est en BTS, mécanique industrielle. Il est là, ce n’est pas un choix mais il va falloir avancer. Selim a 20 ans, et la sensation d’avoir traversé toute une vie en quelques années. Il a 20 ans et il doit faire sans le regard silencieux de son père. Il a 20 ans, et de son accident, il lui reste des cicatrices, des douleurs qu’il veut taire, et des mots qu’il n’entend plus : son audition est touchée. Selim est là, il s’est battu des mois contre le chagrin de la désillusion. Il n’est toujours pas en colère : il avance et regarde devant lui. Il y a aura un chemin.il avance sans son rêve mais avec détermination.

                                                                              ***

    Elle se regarde, sans trop insister. Elle crème même son visage et quand elle n'est pas trop fatiguée: il lui arrive de sourire à son reflet. C'est encore rare mais il lui semble qu'elle progresse. Fragile et gauche: c'est comme ça que les autres doivent la percevoir. Pourtant elle sait qu'elle pourrait être bien d'autre chose. Elle aime toujours la nuit, y faire des tas de projet, entrer dans sa bulle: elle se blottit dans un vieux canapé, avec un vieux plaid et se fait des tonnes de promesses. Ça ne l'a pas empêché d'avancer parce que paradoxalement elle est aussi déterminée à devenir. Romane a trente ans, elle a rangé sa valise de peinture dans la cave. Elle a misé sur le faire.

    Le réveil sonne pour la dixième fois au moins: il n'y arrive pas, il fait froid, Il se sait en retard mais il s’autorise quelques minutes. Il évalue l'enjeu d'une année difficile, du challenge qu'il s’est lancé. Il aimait ça se surpasser, ne pas faillir et il sait percuter là, juste quand il le faut. Il se lève enfin, a besoin de plusieurs cafés: allume machinalement son ordinateur, ses mails. Un passage dans la salle de bain et un coiffage rapide.il a gardé le charme insolent de ses dix ans, ses cheveux commencent à grisonner: ça le rend encore plus beau, plus vulnérable et plus rassurant. Il dégage du vécu, une histoire, de celle qui laisse des traces, qui forgent et qui destinent à avancer quoiqu'il arrive.

    Il est l'heure: elle prend une dernière gorgée de café, vérifie une nouvelle fois son agenda et sa flopée de paperasse qu'elle se promet de trier un jour. Elle ouvre sa porte.il fait froid, heureusement elle a son chèche noir délavé, sa veste grosse maille et ses boots fidèles à toute épreuve météorologique. Elle peut braver le bitume. Elle a fait un effort de coiffure et a juste surligné ses yeux au liner noir. Ses cheveux sont blonds.

    Il franchit le seuil de l'entrée de l'immeuble plutôt cossu, et se dit que jamais il ne se fera à cette grisaille. Sa rue à lui est calme. Il a grandi dans le centre-ville d'une ville du Sud, animée par les bars, les discussions nocturnes, les embrouilles au petit matin: il se dit que ça lui manque. Cet appart, il l'a trouvé sans trop d’effort. Son nouveau statut: il est prof: et très vite, il s'est rendu compte: les regards changent, on ne voit plus ses cicatrices et son teint halé devient un centre d’intérêt. Lui reste indifférent, il aime les gens vrais, sentir qu'il aboutit dans ses projets. La vie est ainsi, il faut avancer, se dire qu'il y a toujours pire et éviter de tourner en rond.

     Il fait glacial. Elle avance vite, toujours cette peur inexpliquée d’être en retard. Avec un peu de chance, elle pourra attraper le prochain bus. Elle se fait la liste de choses à faire. Quand soudain un choc vient la sortir de ses innombrables pensées.

    « Vraiment, je suis désolée, j’étais plongée dans mes pensées…je. » elle sent ses joues chauffées. Elle l’aide à réunir ses affaires sur le sol. Il la regarde. D’elle, il voit d’abord ses yeux, d’une intensité captivante et cet instant s’étire: elle a le pouvoir d’arrêter le temps. Dans ses yeux, il y a l’immensité. Elle se relève, les jambes cotonneuses, il sent merveilleusement bon. Quand elle croise enfin son regard, la vie de se fige. C’est une sensation d’être là, entière, elle ne s’est jamais sentie aussi présente.

    Nous sommes un Soir de Mai. Il a mis la musique à fond. Les enfants sont enfin chez leurs grands parents ! Romane s’agite en cuisine, elle n’aime pas trop ça, alors elle a opté pour un buffet froid. Selim prépare les grillades. Quand ils ont visité cette maison, Romane a d’abord dit non, plusieurs fois, Il y avait tout à faire. Une maison bohème, elle lui avait dit ! Alors il a insisté, il a fait des plans, des tonnes de plans pour la rassurer et ils ont bossé durs ! Romane prépare les dernières décos, Selim la regarde, elle n’ a jamais été aussi belle qu’avec ses cheveux cendrés. Ce soir, il est impatient, la dernière pièce est pour elle, au milieu il lui a emballé sa valise.

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